Manuscrits anciens dans les provinces du Sud

Publié le par Achraf AHMINI

Une association de Dakhla attire l’attention sur l’importance de ces trésors
Avec le projet d’autonomie des provinces du sud, l’option culturelle peut constituer une parfaite assise pour un Maroc indissolublement uni. C’est d’ailleurs la dimension culturelle en ce qu’elle est l’expression du développement, des transformations, de mouvement de population dans le métissage urbain qui attire le plus l’attention. Le paysage saharien surtout sur le littoral a beaucoup évolué, a un nouveau visage par rapport au passé.

On dira c’est normal car trente années c’est lourd de conséquences, à tout point de vue, pour les changements urbains dans les villes sahariennes et les contrecoups supportés ailleurs. Au Sahara, trois décennies, de 1975 à aujourd’hui, ont constitué un profond mouvement dans une population locale traditionnellement portée sur le nomadisme et qui se sédentarise de plus en plus grâce aux villes qui connaissent l’un des plus hauts degrés de croissance avec une explosion démographique et urbaine sans précédent. Les jeunes semblent vivre tout normalement ces changements où ils ont ouvert les yeux tandis que les anciens on peut aisément imaginer qu’ils n’en reviennent toujours pas du rythme de changement relativement rapide qui constitue un ardu virage à angle droit.

Pour le jeune Mohamed Fadel Barikallah, né en 1980, c’est tout différent car lui est né dans les dunes entre Tindouf et Lahmada et n’a réintégré la mère patrie « clémente et miséricordieuse » qu’en 1998 avec sa famille à l’âge de 17 ans. Pour lui le plus important c’est de s’intéresser au legs de la famille, constitué par des dizaines de manuscrits anciens. Cet intérêt pour l’héritage culturel fonctionne comme un repère.

« Quand on parle de culture et de patrimoine au Sahara, souvent il s’agit de folklore, de l’artisanat mais presque jamais de l’héritage écrit, car cet aspect des choses est ignoré » observe Mohamed Fadel qui a créé une association Jalwa pour la protection des manuscrits et l’héritage culturel. Jalwa est le nom d’un puits très ancien dans la région de Dakhla. Dans nombre de qacida d’anciens poètes, ce nom est cité et célébré.

Une activité de production de la pensée par l’écriture a toujours existé dans cette partie du Sahara marocain qui se trouve sur la route de Tombouctou, la ville au prodigieux patrimoine de manuscrits anciens datant du XIV et XV ème siècles et qui bénéficient d’un intérêt particulier de l’UNESCO. Témoin un grand nombre de manuscrits chez des tribus nomades et autres familles installées dans les villes qu’on garde jalousement. Ces manuscrits risquent de se perdre à cause du manque de moyens de conservations et des conditions de leur stockage. Ils risquent de disparaître emportés à l’étranger par des collectionneurs. On dira que dans les autres régions du pays on n’est pas plus avancé car si le Prix Hassan II pour les manuscrits depuis 1969, date de sa création, a joué un rôle primordial pour encourager des détenteurs de quelques trésors à les sortir vers le domaine public, beaucoup d’effort restent à faire. De plus, pour le cas des régions des provinces du sud on serait plus en terrain vierge. On répète qu’il y a de nombreuses familles qui possèdent des vieux manuscrits dont les détenteurs ignorent l’importance. Ce patrimoine qui fait partie de la mémoire du lieu est souvent organisé autour des vieilles écoles et zaouia. Beaucoup de ces manuscrits se sont perdus en totalité ou en partie. D’autres sont en passe de l’être. Pour ces trésors ils font partie intégrante de l’identité de la région et peuvent constituer des sources d’informations sur l’histoire et une plate-forme riche pour les chercheurs.

C’est dans ce contexte explique Mohamed Fadel que l’association Jalwa est née à Dakhla région Oued Eddahab-Lagouira sur l’initiative de jeunes sahraouis pour prendre en charge ce patrimoine. En réalité il semble que l’association en question, pour son noyau initial du moins, tourne autour d’une famille et une tribu Barikallah.

Son président, jeune de 26 ans de Dakhla Mohamed Fadel Barikallah, est enseignant dans des écoles traditionnelles « madariss atiqa ». Le fait de ne pas être bardé de diplômes ne l’a pas empêché de porter en lui le souci de protéger, conserver les vieux manuscrits de la famille dont certains sont assez détériorés. Son père fait partie des Saharouis revenus au Maroc en 1998 après tant d’années d’errances entre les camps de Tindouf, de Lahmada et une région au nord de la Mauritanie un lieudit Amsserd où Mohamed est né.

En 1998 Mohamed Fadel avait juste 17 ans. Son père Mohamed Ouled Lhaj enseignait l’arabe du temps de la colonisation espagnole depuis 1961 jusqu’à 1975 à Dakhla ex-Villa Cisneros. Il avait hérité dans sa famille de nombreux manuscrits qu’il a transmis à ses enfants. Malgré les péripéties des années d’errance, il a gardé les manuscrits, un bien lourd fardeau dans ses déplacements. Il s’agit de près d’une centaine de manuscrits, selon Mohamed Fadel, dont l’âge de certains remonte à trois siècles. Certains sont entièrement conservés d’autres il n’en reste que des fragments. Ces manuscrits traitent de différentes disciplines dont le fikh, l’exégèse du Coran, la grammaire arabe, la poésie hassanie et autres, de l’histoire, des correspondances, droit, documents de règlement de conflits entre tribu Rguibat, Zerguiyyine, Oulad Dlim etc. Parmi les noms d’auteurs de manuscrits il y a Mohamed Ouled Talba mort et inhumé dans la montagne nommée Entajat, le Cheikh Mohamed el Mamy né en 1781 et a vécu à Oued Eddahab inhumé à Ard Tirs Achguig Laadam. Sa zaouia se trouve à quelques 300 kms de Dakhla.

Il y a deux catégories de manuscrits, ceux qui sont des copies de traités de différents auteurs de divers horizons géographiques. Ils étaient copiés par des copistes pour constituer une bibliothèque en l’absence d’imprimerie et d’autres qui sont des copies qu’on dit originales d’œuvres écrites par des auteurs de la région ou de la tribu.

« Des manuscrits se perdent à cause des conditions de vie des bédouins, la multiplicité des déplacements et la guerre des sables a joué aussi un rôle important dans la perte de beaucoup de pièces précieuses » soutient Mohamed Fadel. La guerre a causé plus de précarité dans le déplacement des populations.

« Les tribus nomades en se déplaçant avec leurs troupeaux emportent avec elles tout ce qu’elles possèdent. Parmi le patrimoine déplacé il y avait parfois des manuscrits qui sont entreposés dans des caisses. Le transport se fait de manière très précaire et l’on est exposé à des risques comme en hiver en cas de pluie »

Mohamed Fadel, qui lui-même hérite une bibliothèque de manuscrits de son père, se souvient comment pendant des années ce patrimoine était transporté avec des moyens de fortune, exposé aux aléas et toutes sortes de dangers dont les intempéries. Une histoire à raconter avec ces manuscrits, patrimoine hérité de père en fils, dont on n’accepte pas à se dessaisir sous aucun prétexte.

Fatima-Zahra Chuaïb membre de l’Association Jalwa raconte comment à son retour de Tindouf en 1998, le père de Mohamed Fadel montrait ses manuscrits avec fierté comme des trésors inestimables. Il passait des nuits blanches à parler de son trésor. Il n’a pas hésité à présenter quelques spécimens de ses manuscrits pour le Prix Hassan II.

Nombre des ces manuscrits furent d’ailleurs par la suite présentés par ses fils en concours au prix Hassan II des manuscrits de patrimoine et furent récompensés, pas moins de 7 fois depuis 2001.

L’association Jalwa, première du genre dans les provinces du sud, a attiré l’attention du public lors du festival de Dakhla au mois de mars 2007 avec une exposition d’un grand nombre de manuscrits. Faisant suite à cette première apparition, une deuxième exposition est en préparation avec la Faculté des Sciences Université Hassan II de Casablanca au mois de mai prochain. Le but de la venue vers Casablanca c’est pour faire connaître à un plus grand public un aspect de la culture écrite du Sahara qui a perduré pendant des siècles. Faire connaître mais aussi faire du plaidoyer pour la préservation de toute une culture autour du patrimoine des manuscrits, aussi chercher des partenaires, des chercheurs ou des institutions, pour aider à promouvoir un intérêt scientifique pour ce patrimoine culturel, l’évaluer de manière précise. Tout un mouvement de démarche humaniste qui se traduirait par la prise en charge des manuscrits à travers des recherches qui permettraient une véritable reconnaissance.

« C’est sans aucun moyen sinon des encouragements symboliques que l’association vit. Nous voudrions une assistance et un partenariat avec le ministère de la Culture pour la création d’une institution locale pour la protection, la conservation et la restauration des manuscrits. Nous avons trouvé beaucoup de familles qui refusent de montrer des manuscrits anciens parce que généralement on nourrit un rapport affectif aigu avec cet objet familial, sans compter que les gens n’ont pas confiance. Il y a un climat de suspicion, les gens sont mal informés ils ont peur d’être dépossédés de leur bien au profit de tiers. On ne comprend pas encore le caractère spécifique de patrimoine et héritage culturel »

L’association aussi a pris fait et cause pour un tout autre aspect qui est la culture orale ancienne. Celle-ci est en train de se perdre avec la disparition des modes de vie anciens au fil du développement effréné des agglomérations urbaines qui ont connu un développement extraordinaire en peu de temps, une explosion démographique à Laayoune, Boujdour, Smara, Dakhla, un changement de mœurs, une jeunesse débordante dans ces villes tournée plus sûrement vers l’Atlantique que vers l’intérieur du Sahara.

« Les infrastructures de base dans les villes ont permis l’éclosion d’une nouvelle dynamique avec les jeunes qui quittent le mode nomade, attirés par l’espace urbain » soutient Fatima-Zahra Chuaïb coordonnatrice de l’association Jalwa au niveau de Casablanca. Elle avait depuis 1992 travaillé bénévolement dans la détermination de l’identité des habitants du Sahara au niveau de la capitale économique et autres villes.

« Des changements très positifs ont été réalisés pour l’avenir des habitants du Sahara avec le développement urbain mais il y a cette culture orale qui s’en va et qu’il faudrait recueillir tant que ses détenteurs sont encore parmi nous. Une grande richesse de culture orale est en train de se perdre »

Source : L'Opinion  Par : Saïd AFOULOUS

Publié dans Culture & Patrimoine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article